Le Cercle et la ConFrérie

 

 

 

Clary s’avança pour toucher le bras de Jace. Dire quelque chose, n’importe quoi... Mais que dire à quelqu’un qui venait de voir les assassins de son père ? Son hésitation ne lui porta pas grand préjudice : Jace se dégagea d’un mouvement brusque, comme si on l’avait piqué.

— On ne devrait pas traîner ici. On ne sait jamais, Luke pourrait revenir.

Ils sortirent par la porte de derrière, puis, après que Jace se fut servi de sa stèle pour la verrouiller, ils regagnèrent la rue déserte. La lune brillait comme un médaillon précieux au-dessus de la ville, jetant des reflets perlés sur les eaux de l’East River. Le ronronnement lointain des voitures filant sur le pont de Williamsburg résonnait dans l’air moite, pareil à un battement d’ailes.

— Est-ce que quelqu’un peut me dire où on va ? demanda Simon.

— A la station de métro, répondit calmement Jace.

— Tu plaisantes ? Les pourfendeurs de démons ne prennent pas le métro.

       C’est plus rapide que la voiture.

       Je m’imaginais quelque chose de plus excitant, un van avec « Mort aux démons » tagué sur le flan, ou...

Jace ne prit même pas la peine de l’interrompre, Clary lui jeta un regard à la dérobée, songeant à sa mère : quand Jocelyne était furieuse ou contrariée, elle était d’un calme effrayant. Dans ces moments-là, Clary songeait à l’aspect trompeusement solide de la glace emprisonnant un lac juste avant qu’elle ne craque sous votre poids. Jace affichait ce même calme. Son visage était dénué de la moindre expression, mais une lueur farouche brillait dans ses yeux de fauve.

       Simon, maugréa-t-elle. Ça suffit.

Son ami lui lança un regard qui semblait dire : dans quel camp es-tu ? Mais Clary l’ignora. Elle garda les yeux fixés sur Jace tandis qu’ils tournaient dans Kent Avenue. Les lumières du pont nimbaient sa chevelure d’un halo irréel. Était-ce mal qu’elle se réjouisse à l’idée que les hommes qui avaient enlevé sa mère soient les mêmes qui avaient assassiné le père de Jace bien des années auparavant ? Il devait l’aider à retrouver Jocelyne, qu’il le veuille ou non. Il ne pouvait pas l’abandonner.

       Tu vis ici ? Mais... c’est une église !

Simon contempla la vieille cathédrale avec ses vitraux cassés et ses portes scellées avec du scotch par  la police.

Jace passa la main dans le col de sa chemise et en sortit une clé en cuivre suspendue à une chaîne, C’était le genre de clé qui sert à ouvrir un vieux coffra dans un grenier. Clary l’observait avec curiosité : il n’avait pas verrouillé la porte derrière lui en sortant de l’Institut.

— Vivre dans un lieu sacré peut s’avérer utile, répondit-il.

— Je comprends bien, mais, sans vouloir te vexer, cet endroit est un taudis, dit Simon en fixant d’un air dégoûté la grille rouillée qui protégeait le vieil édifice et les monceaux d’ordures entassés sur les marches.

Clary s’efforça de faire le vide dans son esprit. Elle s’imagina en train de frotter la scène avec un des chiffons imbibés de térébenthine qu’utilisait sa mère, pour effacer le charme comme s’il s’agissait d’une vieille peinture.

La réalité lui apparut telle la lumière d’une lampe traversant une vitre teintée. Clary distingua les flèches de la cathédrale, l’éclat des vitraux et la plaque de cuivre portant le nom de l’Institut fixée près de la porte. Elle contempla quelques instants cette vision avant de la laisser disparaître avec un soupir.

— C’est un charme, Simon. L’endroit ne correspond pas réellement à ce que tu vois.

— Si c’est ton idée du charme, je ne suis pas près de te confier mon look.

Juce introduisit la clé dans la serrure de la grille en regardant Simon par-dessus son épaule :

— Je ne suis pas sûr que tu aies conscience de l’honneur qui t’est fait. Tu es le premier Terrestre autorisé à pénétrer dans l’Institut.

— Peut-être que c’est l’odeur qui tient les autres à distance.

       Ignore-le, dit Clary à Jace avant de donner un coup de coude à Simon. Il dit toujours ce qui lui passe par la tête, sans jamais filtrer.

       Les filtres, c’est pour les cigarettes et le café, marmonna Simon comme ils entraient. Je n’aurais rien contre l’un ou l’autre, d’ailleurs.

Clary songea qu’elle aurait bien bu un café elle aussi tandis qu’ils montaient un escalier de pierre en colimaçon, dont chaque marche était marquée d’un glyphe. Certains d’entre eux lui semblaient familiers : ils titillaient son esprit à la manière de ces mots dans des langues étrangères qui lui donnaient l’impression que, en se concentrant un peu, elle parviendrait à en tirer quelque signification.

Clary et les deux garçons prirent l’ascenseur en silence. La jeune fille ne pouvait chasser de son esprit la vision d’une grande tasse de café au lait, comme celui que sa mère préparait le matin. Parfois, Luke débarquait avec des viennoiseries achetées à Chinatown... A la pensée de Luke, la poitrine de Clary se serra, et sa faim disparut.

L’ascenseur s’arrêta dans un grincement, et ils se retrouvèrent dans le hall. Jace ôta sa veste, la jeta sur un fauteuil et siffla entre ses dents. Au bout de quelques secondes, Church s’avança furtivement, ses yeux jaunes étincelant dans la pénombre.

       Church, dit Jace en s’agenouillant pour caresser la tête grise du chat. Où est Alec ? Où est Hodge ?

Church fit le gros dos et poussa un miaulement Jace plissa le nez, mimique que Clary aurait trouvée charmante en d’autres circonstances.

— Ils sont dans la bibliothèque ? demanda le garçon en se relevant.

Church s’ébroua avant de faire quelques pas dans le couloir, puis se retourna pour les regarder. Jace suivit le chat comme s’il s’agissait de la chose la plus naturelle du monde et invita d’un geste Simon et Clury à l’imiter.

— Je n’aime pas les chats, marmonna Simon en donnant un coup d’épaule à Clary pendant qu’ils s’avançaient dans le corridor étroit.

— Connaissant Church, répliqua Jace, il est fort probable que ce soit réciproque.

Ils s’engagèrent dans l’un des couloirs qui desservaient les chambres. Simon leva les sourcils :

       Combien de gens vivent ici, au juste ?

       C’est un institut, répondit Clary. Un endroit où peuvent loger les Chasseurs d’Ombres quand ils séjournent en ville. C’est à la fois un refuge et un s’entre de recherche.

       Je croyais que c’était une église.

        C’est un institut basé dans une église.

— C’est clair comme de l’eau de roche.

La nervosité perçait dans le ton désinvolte de Simon. Plutôt que de le faire taire, Clary noua ses doigts autour des siens, et il la remercia d’une pression de la main.

— Je sais que c’est bizarre, dit-elle avec douceur, mais il faut que tu suives le mouvement. Fais-moi confiance.

 Simon la fixa d’un air grave :

— J’ai confiance en toi. C’est lui qui ne me plaît pas.

Il tourna les yeux vers Jace, qui marchait à quelque pas devant eux. Ce dernier semblait en grande conversation avec le chat. Clary se demanda de quoi ils pouvaient bien parler. De politique ? D’opéra ? De la hausse du prix du poisson ?

       Eh bien, fais un effort. Pour l’instant, il est ma seule chance de retrouver ma mère.

Simon fut parcouru d’un léger frisson.

       Cet endroit ne me dit rien qui vaille, chuchota-t-il.

Clary se souvint de sa première impression, à son réveil l’autre matin. Tout lui semblait à la fois hostile et familier. Manifestement, Simon n’éprouvait pas ce sentiment de familiarité.

       Tu n’es pas obligé de rester, dit Clary, qui s’était pourtant disputée avec Jace dans le métro pour gagner le droit de garder Simon auprès d’elle, sous prétexta qu’après avoir passé trois jours à surveiller Luke il pourrait leur fournir des renseignements utiles.

       Si, répondit Simon.

Comme ils entraient dans une pièce, il lui lâcha la main. Il s’agissait d’une énorme cuisine qui, contrairement au reste de l’Institut, bénéficiait de tout le confort moderne, avec ses comptoirs en acier et ses étagères en verre remplies de vaisselle. Isabelle se tenait près de la cuisinière en fonte, une cuillère à la main, les cheveux relevés sur le sommet du crâne. De la vapeur s’échappait d’une marmite, et divers ingrédients étaient disséminés sur le plan de travail : tomates, ail et oignon hachés, herbes aromatiques, fromage râpé, cacahuètes non décortiquées, une poignée d’olives et un poisson entier, dont les yeux vitreux fixaient le plafond.

— Je prépare une soupe, dit Isabelle en agitant sa cuillère en direction de Jace. Tu as faim ?

Elle jeta un coup d’œil derrière lui, et, apercevant Simon et Clary, lâcha :

— Oh, mon Dieu ! Tu nous amènes un autre Terrestre ? Hodge va t’étriper.

Simon s’éclaircit la gorge :

— Je m’appelle Simon.

Isabelle l’ignora :

— Jace Wayland ! J’attends tes explications. :

Juce jeta un regard noir au chat :

— Espèce de traître ! Je t’avais demandé de me conduire auprès d’Alec !

Church roula sur le dos et se mit à ronronner de satisfaction.

— Pas la peine de t’en prendre à Church. Ce ne sera pas sa faute si Hodge te trucide.

 Isabelle plongea la cuillère dans la marmite. Clary se demanda quel goût pouvait avoir une soupe contenant des cacahuètes, du poisson, des olives et des tomates.

— J’ai été obligé de l’emmener, dit Jace. Isabelle... aujourd’hui j’ai vu deux des hommes qui ont tué mon pore.

 Les épaules d’Isabelle se raidirent, mais quand elle ne retourna elle semblait plus inquiète que surprise. 

— J’espère que ce n’est pas l’un d’eux ? demanda-t-elle en montrant Simon de sa cuillère.

A la surprise de Clary, Simon ne protesta pas. Il était trop occupé à contempler la jeune fille, bouche bée. Bien entendu, Clary en fut contrariée. Isabelle était tout à fait le genre de Simon : grande, belle, séduisante. A bien y réfléchir, elle était le genre de tout le monde. Clary cessa de s’interroger au sujet de la soupe pour se demander ce qui se passerait si elle vidait le contenu de la marmite sur la tête d’Isabelle,

    Bien sûr que non, répondit Jace. Crois-tu qu’il serait encore en vie si c’était le cas ?

Isabelle considéra Simon avec indifférence.

    Je suppose que non, admit-elle en faisant tomber distraitement un bout de poisson par terre.

Church se jeta dessus avec voracité.

    Pas étonnant qu’il nous ait conduits ici, lança Jace d’un air dégoûté. Tu as recommencé à le gaver de poisson ! Il est déjà obèse.

    Pas du tout. Et puis, vous ne mangez rien, vous autres. Je tiens cette recette d’une nymphe de rivière, qui me l’a donnée au marché de Chelsea. Elle m’a dit que c’était délicieux...

    Si tu savais cuisiner, je mangerais peut-être marmonna Jace.

Isabelle se figea en brandissant sa cuillère d’un air menaçant :

    Qu’est-ce que tu viens de dire ?

Jace se dirigea vers le réfrigérateur :

    J’ai dit que j’allais me préparer un en-cas.

    C’est bien ce que j’ai entendu.

Isabelle reporta son attention sur la soupe. Simon continuait à la regarder avec des yeux de merlan frit. Clary, furieuse sans pouvoir s’en expliquer la raison, jeta son sac à dos par terre et rejoignit Jace :

    Et toi, tu manges ! Je n’arrive pas à le croire !

— Qu’est-ce que tu veux que je fasse d’autre ? répondit-il avec un calme exaspérant.

Le réfrigérateur était rempli de cartons de lait dont la date de péremption remontait à plusieurs semaines, et de boîtes en plastique sur lesquelles était inscrit à l’ancre rouge : hodge. ne pas toucher.

— Waouh ! C’est le genre colocataire timbré, observa Clary.

— Qui, Hodge ? Non, il aime l’ordre, voilà tout.

Jace sortit l’une des boîtes du frigo :

— Miam ! Des spaghettis. 

— Tu vas te couper l’appétit pour le reste, maugréa Isabelle.

    C’est bien mon intention, répliqua Jace en refermant le réfrigérateur d’un coup de pied avant de prendre une fourchette dans un tiroir.

Il se tourna vers Clary :

— Tu en veux ?

Elle secoua la tête.

— Évidemment que non, dit-il, la bouche pleine. Avec tous les sandwiches que tu as avalés...

— Il n’y en avait pas tant que ça.

Clary jeta un coup d’œil à Simon, qui avait réussi à engager la conversation avec Isabelle.

    Est-ce qu’on peut aller chercher Hodge, maintenant ? lança-t-elle avec humeur.

— Un peu de patience !

    Tu ne veux pas lui parler de ce qu’on a vu ?

    Je n’ai pas encore pris de décision.

Jace reposa la boîte et se lécha les doigts d’un air songeur :

    Mais si tu veux absolument y aller…

    Oui.

    Très bien.

Clary le trouvait très calme, beaucoup trop sûr de lui. Elle se demanda s’il lui arrivait de laisser transparaître son vrai visage derrière cette façade lisse.

    Où allez-vous ? demanda Simon comme ils atteignaient la porte.

Ses cheveux en désordre lui retombaient sur les yeux. « Il a l’air ahuri, pensa Clary non sans médanceté, comme s’il avait reçu un coup de massue sur la tête. »

    Chercher Hodge, répondit-elle. Il faut que je lui parle de Luke.

    Tu comptes lui dire, pour les deux hommes que tu as vus, Jace ? s’enquit Isabelle. Ceux qui...

    Je ne sais pas. Alors, garde-le pour toi dans l’immédiat.

Elle haussa les épaules :

    D’accord. Tu as prévu de repasser ? Tu veux que je te mette de la soupe de côté ?

    Non.

    Et Hodge, crois-tu qu’il en voudra ?

    Personne n’en voudra.

    Moi, si, lança Simon.

    Mais non, tu as juste envie de coucher avec la cuisinière.

    Ce n’est pas vrai ! répliqua Simon, outragé.

    Comme c’est flatteur ! murmura Isabelle au-dessus de sa marmite avec un sourire amusé.

    C’est la vérité, dit Jace. Vas-y, demande-lui, et quand elle t’aura éconduit, on pourra passer à autre chose pendant que tu te ratatineras de honte.

Il claqua des doigts :

— Dépêche-toi, Terrestre, nous avons du pain sur lu planche !

Simon détourna les yeux, rouge d’embarras. Clary, qui un instant auparavant aurait éprouvé une joie mauvaise, blêmit de colère :

— Laisse-le tranquille, Jace ! Arrête de jouer les indiques, juste parce qu’il n’est pas l’un des vôtres.

— L’un des nôtres, tu veux dire. Bon, je vais voir Hodge. Venez si ça vous chante !

À ces mots, il claqua la porte derrière lui, laissant Clary seule avec Simon et Isabelle.

Cette dernière versa de la soupe dans un bol, qu’elle poussa sur la table vers Simon sans même le regarder. Mais elle souriait toujours, Clary aurait pu en jurer.

A la surface de la soupe, d’une couleur verdâtre, flouaient des morceaux indéfinissables.

— Je vais avec Jace, déclara la jeune fille. Simon... ?

— Je reste ici, marmonna-t-il en regardant ses pieds. J’ai faim.

— Très bien.

 Clary sentit sa gorge se serrer. Elle sortit de la cuisine au pas de charge, l’ombre grise de Church sur les talons.

Dans le couloir, elle trouva Jace en train de jouer avec l’un de ses poignards séraphiques. En la voyant, il rangea l’arme dans sa poche.

    C’est gentil de ta part de laisser les deux tourtereaux en tête à tête.

    Pourquoi faut-il toujours que tu te conduises comme le dernier des mufles ?

    Moi, un mufle ?

Il dévisagea Clary comme s’il était sur le point d’éclater de rire.

    Ce que tu as dit à Simon...

    J’essayais seulement de lui éviter des ennuis, Isabelle lui brisera le cœur. C’est le sort qu’elle réserve aux garçons de son espèce.

    Elle t’a fait le même coup ?

Jace se contenta de secouer la tête avant de se tourner vers Church.

    Hodge, dit-il. Et vraiment lui, cette fois, Emmène-nous ailleurs, et je te transforme en chair à pâté !

Le chat persan poussa un grognement et les précéda dans le couloir. Clary, qui marchait à quelques pas derrière Jace, le trouva fatigué et tendu. Elle se demanda s’il lui arrivait parfois de se laisser aller.

    Jace ?

     Quoi ?

    Pardon de m’être emportée contre toi.

    Quand ça ? ironisa-t-il.

    Mais toi non plus, tu n’es pas tendre avec moi,

    Je sais, répondit-il, à sa grande surprise. Il y a quelque chose chez toi qui...

    T’énerve ?

    Me déstabilise.

Clary aurait voulu lui demander comment elle devait interpréter sa remarque, mais elle s’abstint : elle avait trop peur qu’il ne lui donne une réponse moqueuse. Elle se creusa la tête pour changer de sujet :

    C’est toujours Isabelle qui s’occupe du dîner ?

— Dieu merci, non. La plupart du temps, les Lightwood sont là, et c’est Maryse, la mère d’Isabelle, qui s’en charge. C’est une excellente cuisinière.

Il semblait rêveur, et son expression lui rappela celle de Simon devant Isabelle.

    Alors, pourquoi elle n’a jamais appris la cuisine à sa fille ?

Ils longeaient la salle de musique, où Clary avait vu Jace jouer du piano le matin. La pièce était désormais plongée dans l’obscurité.

— Parce que, récemment, les femmes ont obtenu le droit de devenir des Chasseuses d’Ombres, au même titre que les hommes. Il y a toujours eu des femmes au sein de l’Enclave ; elles gravaient les runes, fabriquaient des armes ou enseignaient l’art du combat, mais elles comptaient parmi elles peu de guerrières dotées d’aptitudes exceptionnelles. Elles ont dû se battre pour obtenir le droit d’être formées. Maryse appartient à la première génération de celles qui ont bénéficié d’un entraînement proprement dit, et je crois que si elle n’a jamais appris la cuisine à sa fille, c’est qu’elle craignait qu’elle ne soit reléguée en permanence dans cette pièce.

    Et, à ton avis, c’est ce qui se serait passé ? demanda Clary avec curiosité.

Elle revit Isabelle au Charivari, son assurance et la dextérité avec laquelle elle maniait son fouet.

 Jace eut un petit rire :

    Ce n’est pas le genre d’Isabelle. Elle est l’un des meilleurs éléments que j’aie rencontrés.

    Meilleure qu’Alec ?

Church, qui trottait sans bruit devant eux dans la pénombre, fit brusquement halte et miaula. Il était tapi au pied d’un escalier de fer en colimaçon qui se perdait dans l’obscurité.

    Alors, il est dans la serre, dit Jace. Voilà qui n’est pas surprenant.

Il fallut quelques instants à Clary pour comprends qu’il s’adressait au chat.

    La serre ?

    Hodge aime bien s’enfermer là-haut, répondit Jace en s’engageant dans l’escalier. Il fait pousser des plantes médicinales qui nous servent par la suite. Laplupart d’entre elles proviennent d’Idris. Je crois qu’elles lui rappellent le pays.

Clary monta l’escalier derrière lui. Ses pas résonnèrent sur lés marches en fer ; Jace, en revanche, se déplaçait sans bruit.

    Est-ce qu’Alec est meilleur qu’Isabelle ? insista-t-elle.

Jace s’arrêta pour la regarder en se penchant dans l’escalier, à deux doigts de perdre l’équilibre. Elle repensa à son rêve : des anges tombant du ciel.

    Meilleur ? Non, pas vraiment. Il n’a jamais tué de démon.

    Ah bon ?

    J’ignore pourquoi. Peut-être parce qu’il a toujours à cœur de nous protéger, Isa et moi.

Ils avaient atteint le sommet des marches. Une porte à deux battants, décorée de feuilles de vigne se découpait dans le mur. Jace l’ouvrit d’un coup d’épaule.

Une odeur prononcée de verdure, de matières vivantes, de terre et de racines assaillit Clary au moment où elle entrait. Elle s’attendait à voir une pièce beaucoup plus exiguë, de la taille de la petite serre située derrière St Xavier, où les élèves du cours de biologie se livraient au clonage des petits pois ou d’autres expériences mystérieuses. Or, elle découvrit une immense salle vitrée, où s’alignaient des arbres dont les branches chargées de feuilles exhalaient une odeur d’herbe fraîche. Des buissons offraient leurs baies luisantes, rouges, violettes ou noires, et des arbustes ployaient sous des fruits bizarres qu’elle n’avait jamais vus auparavant.

Clary respira à fond : 

— Ça sent...

 « Le printemps, pensa-t-elle, avant l’arrivée des grandes chaleurs qui consument les feuilles et flétrissent les pétales des fleurs. »

— Le pays, dit Jace. Enfin, pour moi.

Il se fraya un passage en écartant une branche, talonné de près par Clary. Pour l’œil inexpérimenté de la jeune fille, la serre ne suivait aucun agencement en particulier : partout où se posait le regard, ce n’était qu’une explosion de couleurs. Des fleurs d’un bleu violacé s’épanouissant à côté d’une haie d’un vert luisant, de la vigne grimpante parsemée de boutons orangés pareils à des gemmes. Ils arrivèrent dans une sorte de clairière où se trouvait un banc de granit appuyé contre le tronc penché d’un arbre au feuillage vert argent. De l’eau miroitait dans un bassin de pierre. Assis sur le banc, son oiseau noir perché sur l’épaule, Hodge contemplait l’eau d’un air pensif. Il leva les yeux vers le ciel à leur approche. Clary suivi son regard et vit la verrière de la serre qui scintillait au-dessus de sa tête comme la surface d’un lac.

    On dirait que vous attendez quelque chose, observa Jace en arrachant une feuille sur une branche voisine avant de l’entortiller autour de ses doigts.

Clary songea que, pour quelqu’un d’aussi calme en apparence, il avait beaucoup de manies nerveuses. A moins qu’il ne fût simplement du genre à ne jamais rester immobile.

    J’étais perdu dans mes pensées, répondit Hodge.

Il se leva du banc et son sourire disparut :

    Que s’est-il passé ? On dirait que...

    Nous avons été attaqués par un Damné, annonça Jace sans détour.

    Des guerriers damnés ? Ici ?

    Il était seul.

    Mais Dorothea nous a dit qu’il y en avait d’autres, ajouta Clary.

    Dorothea ? Ce serait peut-être plus simple de tout reprendre dans l’ordre.

Jace jeta à Clary un regard lourd de menace comme s’il la défiait de prendre la parole, et se lança dans le récit des événements de l’après-midi en omettant un seul détail, à savoir que les deux individus dans l’appartement de Luke étaient ceux qui avaient assassiné son père sept ans plus tôt.

    L’ami de la mère de Clary, ou qui que soit cet homme, se fait appeler Luke Garroway, conclut-il. Mais pendant que nous étions chez lui, les deux hommes qui prétendaient être des envoyés de Valentin l’ont appelé Lucian Graymark.

— Et leurs noms à eux ?

— Pangborn, répondit Jace. Et Blackwell.

Hodge avait blêmi. Sa cicatrice ressortait sur sa joue devenue couleur cendre.

— C’est bien ce que je craignais, murmura-t-il comme pour lui-même. Le Cercle est en train de se reformer.

 Perplexe, Clary se tourna vers Jace, qui paraissait aussi perdu qu’elle.

— Le Cercle ?

Hodge secoua la tête comme pour mettre de l’ordre dans ses idées :

— Venez avec moi. Il est temps que je vous montre quelque chose.

Les lampes à gaz étaient allumées dans la bibliothèque, et les meubles en chêne verni étincelaient telles des pierres précieuses. Dans la pénombre, les visages austères des anges qui soutenaient l’énorme bureau semblaient encore plus déformés par la douleur. Clary s’assit sur le canapé rouge, les jambes repliées, tandis que Jace s’installait nonchalamment sur l’accoudoir, à côté d’elle.

    Hodge, si vous avez besoin d’aide pour chercher...

    Non.

Hodge émergea de derrière le bureau en époussetant son pantalon :

— Je l’ai trouvé.

Il tenait à la main un gros livre relié de cuir marron. Il se mit à le feuilleter nerveusement en clignant des yeux comme une vieille chouette derrière ses lunettes et en marmonnant :

       Où est-ce ?... Où ?... Ah, voilà !

Après s’être éclairci la gorge, il lut à haute voix :

       Par la présente, je jure d’obéir sans condition au Cercle et à ses principes... Je suis prêt à risquer ma vie à tout moment pour le Cercle afin de préserver la pureté de la lignée d’Idris et le monde mortel dont la sécurité nous a été confiée.

Jace fit la grimace :

       D’où vient ce document ?

       C’est le serment d’allégeance au Cercle de Raziel, qui date de vingt ans, répondit Hodge d’un ton étrangement las.

       Ça fait froid dans le dos, commenta Clary. On croirait le manifeste d’une organisation fasciste ou un truc du même genre.

Hodge reposa le livre. Il avait l’air aussi grave et attristé que les anges sous son bureau.

       Ce groupe de Chasseurs d’Ombres mené par Valentin, expliqua-t-il avec lenteur, s’était voué à l’extermination de toutes les Créatures Obscures afin de « purifier » le monde. Ils avaient prévu d’attendre leur arrivée à Idris pour la signature des Accords, qui doivent être renouvelés tous les quinze ans afin de conserver leur pouvoir magique, ajouta-t-il à l’intention de Clary. Une fois désarmés et sans défense, ils allaient tous être massacrés. Cet acte terrible était censé provoquer une guerre entre les humains et les Créatures Obscures. Et cette guerre, le Cercle avait bien l’intention de la gagner.

       C’est ce qu’on a appelé l’Insurrection, dit Jace, qui venait enfin de reconnaître dans l’histoire de Hodge un élément familier. J’ignorais que Valentin et ses partisans s’étaient donné un nom.

       On ne l’emploie pas souvent de nos jours. L’existence de ce groupe demeure une source d’embarras pour l’Enclave. La plupart des documents rattacès à son histoire ont été détruits.

       Alors, pourquoi possédez-vous une copie de ce document ? demanda Jace.

Hodge hésita  – un bref instant seulement. Cependant : Clary eut le temps de s’en apercevoir, et elle sentit un frisson inexplicable lui parcourir l’échiné.

— Parce que, dit-il, j’ai contribué à sa rédaction.

Jace le dévisagea, surpris :

— Vous faisiez partie du Cercle ?

— Oui, comme beaucoup d’entre nous... 

Hodge gardait les yeux fixés droit devant lui.

— ... dont la mère de Clary.

Clary sursauta comme si elle venait de recevoir une gifle :

— Quoi ?

— J’ai dit...

       Je vous ai entendu ! Ma mère n’aurait jamais fait partie d’une organisation vouée à la haine !

— Je doute qu’elle ait eu le choix, répondit Hodge avec lenteur, comme si les mots lui coûtaient.

Clary le dévisagea sans comprendre :

       De quoi parlez-vous ? Pourquoi n’aurait-elle pas eu le choix ?

       Parce qu’elle était l’épouse de Valentin.

[La Cité des Ténèbres 01] a Coupe Mortelle
titlepage.xhtml
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_000.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_001.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_002.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_003.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_004.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_005.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_006.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_007.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_008.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_009.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_010.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_011.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_012.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_013.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_014.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_015.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_016.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_017.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_018.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_019.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_020.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_021.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_022.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_023.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_024.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_025.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_026.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_027.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_028.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_029.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_030.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_031.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_032.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_033.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_034.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_035.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_036.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_037.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_038.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_039.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_040.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_041.htm
La Coupe Mortelle - Cassandrra Clare_split_042.htm